Chigny,
petite localité distante de Reims de deux lieues, est citée
dans quelques ouvrages consacrés à l'histoire de la faïence française,
comme étant un centre de fabrication céramique remontant
vers 1790 ou autrement exprimé à la fin du XVIII siècle.
L'auteur le mieux informé reste Gerspach qui, ayant retrouvé
un document intéressant pour l'histoire de cette fabrique, complète
sa notice en signalant l'existence de deux objets qui lui sont attribués
avec certitude.
Procédant
à de vastes dépouillements tant de minutes de notaires, de registres
paroissiaux et d'état civil que de registres d'hypothèques
et d'enregistrement, d'archives judiciaires ou civiles, nous nous sommes
efforcé d'éclaircir l'origine, le fonctionnement et la disparition
de cette fabrique, regrettant cependant que nos recherches aient été
maintes fois entravées par la perte de documents détruits,
au cours des XIX et XX siècles, par les guerres dévastant,
à plusieurs reprises, le territoire du département de la Marne.
C'est
le 10 août 1777 qu'un sieur Pierre Bonhomme, épicier chandelier
de Reims et Jean-Baptiste Roussel, natif de Paris, son associé,
manufacturié de fayance, privilégiés du Roy et protégés
de Mesdames de France conclurent devant un notaire de Rilly-la-Montagne
un bail de neuf années avec un tonnelier de Chigny, Thomas
Quenardelle. Moyennant un loyer annuel de 115 livres, le propriétaire
mettait à la disposition de ses locataires un corps de logis sis à Chigny
dans la rue du Chaufour, près de la fontaine publique, composé
au rez-de-chaussée de deux grandes pièces et au premier
étage de trois pièces et un grenier. Les preneurs avaient
également le droit d'usage d'une cour et d'un jardin dans lequel
ils avaient permission de faire construire tel four qu'ils jugeraient
convenable pour la cuite de leur fayance. Ils pouvaient également
en en déduisant le prix de la première échéance
de leur loyer faire faire le plancher du grenier en planche de sapin et
même faire ouvrir d'autres croisées dans le dit bâtiment.
Un mois plus tard les associés achetaient cent anneaux de bois
pour 800 livres, ce qui laisse à supposer que les travaux d'aménagement
de la manufacture avaient été poussés activement
et que l'œuvre pouvait commencer.
Que
connaissons-nous des deux associés ? . Peu de chose en réalité.
Jean-Baptiste Roussel que l'on sait être manufacturier privilégié
du Roy et protégé de Mesdames de France, filles de Louis
XV, était originaire de Paris; il avait épousé, avant
son arrivée à Chigny, Nicolle Félicité
Char, alias Chard ou Charre, dont il eut pendant son
séjour en Champagne trois enfants : Marie-Françoise - Perrette
(1 novembre 1777), René - Antoine (4 décembre 1778)
et Mathias. Il est intéressant de noter que le parrain du
premier fut son associé Pierre Bonhomme et la marraine Marie
Chevalier, épouse d'un marchand de faïence parisien, et celui
du second un marchand de bois, René Brunet. Lui-même
est dénommé dans les actes marchand manufacturier de fayence,
Maistre manufacturier en fayence, directeur de la manufacture de fayence
de Chigny, puis lors de la dernière année de son
séjour Maistre fayencier.
Doit-on
rapprocher ce personnage de celui dont nous trouvons mention, en 1783,
en qualité d'architecte de Louvois dans les comptes du château
voisin de Louvois, propriété de Mesdames de France. Nous
l'ignorons.
De Pierre Bonhomme, son associé, nous savons qu'il était
d'origine rémoise, marchand épicier ou marchand chandelier,
qu'il était né dans cette ville vers 1725, étant
mort en 1792, âgé de 67 ans, et qu'il eut cinq enfants de
son épouse Jacqueline-Angélique Barré. Il
vécut sur la paroisse Saint-Denis et il semble bien qu'on
doive voir en lui un capitaliste, d'ailleurs peu chanceux, plaçant ses
fonds dans une affaire industrielle.
Quoiqu'il
en soit, les deux associés lorsqu'ils s'adressèrent le 17
juillet 1778 au Roi et à son Conseil, pour obtenir le droit et privilège
de prendre dans les communaux de Chigny, terres, vignes et bois
indivis entre le Roi et la Communauté, les terres propices et nécessaires
à la fabrication d'une faïence commune qui résiste au feu, étaient
plein d'espérance dans l'avenir de leur entreprise. Ils avaient
effectué maintes épreuves et obtenu une faïence commune
de grande solidité et d'un prix modique. Ils en avaient également
confectionné des creusets dans lesquels ils avaient fondu du plomb
et même calciné du cuivre. Il s'agissait donc d'une entreprise
qui ne pouvait qu'être très avantageuse au public.
La
manufacture, tel est le terme employé dans les documents de l'époque,
fonctionnait assurément puisque, outre Jean - Baptiste Roussel,
les registres paroissiaux de Chigny nous ont conservé les
noms de François Renault, tourneur en fayance, qualifié
également de potier de terre et de Jean-Pierre Allard, faïencier.
Ce dernier avait probablement, dirions-nous de nos jours, effectué
un apprentissage accéléré, car originaire de Chigny,
nous le voyons qualifié, les années antérieures,
de manouvrier, de brandevinier et même de milicien pour la Champagne.
En
l'absence de documents commerciaux, on ne peut affirmer que ces deux ouvriers
constituaient à eux seuls le personnel de la manufacture, mais on ne devra
pas perdre de vue que le peu d'étendue des locaux ne permettait
pas l'emploi d'une main-d'œuvre nombreuse.
Peu
après, le 7 novembre 1778, Pierre-Nicolas Bonhomme dépose
son bilan au greffe des Consuls de Reims, entraînant Jean-Baptiste
Roussel dans une faillite dont les créanciers désignèrent
Me Detable, notaire à Reims, et Millet, marchand de bois
à Ludes, comme syndics. Le Directeur de la Manufacture de Chigny
devait s'estimer lésé par son associé, puisque le
4 février 1779 il charge Me Petizon, procureur au bailliage,
de poursuivre une instance contre Pierre Bonhomme. Nous
en ignorons le résultat et nous n'entendrons plus parler de Jean-Baptiste
Roussel après que, le 14 mai 1779, le collège des créanciers
eut cédé la maison, les effets, propriété
et outils de la manufacture au sieur Nicolas Vautrin, manufacturier
de fayence au Bois d'Epense près de Sainte-Menehould, moyennant
2 400 livres dont 1 600 livres pour les effets et outils.
Ainsi
s'achevait la première période de la Manufacture de Chigny
dont nous n'avons pu reconnaître les productions parmi les faïences conservées
dans la région.
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